Fedora. Ma mère était une comédienne italienne, fille unique de tapissiers. Elle a toujours été connue pour son incroyable beauté. Beauté qui faisait tout d'elle. Beauté qui était elle-même. Elle n'était pas plus douée que cela pour jouer un personnage. Elle n'avait jamais essayé d'en faire plus, de se dépasser. Elle voulait rester dans l'image qu'elle donnait d'elle-même. Une pauvre, pauvre belle femme. Mon père était un libraire.
Celestino. Un homme qui dédiait sa vie aux livres. Il aimait cela plus que tout. Il vivait humblement, dans un petit appartement à Rome. Il ne cherchait pas les soucis. C'était quelqu'un de bon, honorable, humble. Il avait le cœur sur la main, il voulait toujours aider les plus faibles. A contrario de son frère aîné, qui était le vice tandis que lui était la vertu.
Ma mère se droguait. Depuis le lycée, pour rentrer dans un groupe. Pour s'intégrer. Idiote, stupide fille. Cela ne l'a jamais quittée. Elle ne m'a jamais dit à quoi exactement. Cela ne m'intéresse pas. Un jour, elle faillit en mourir. On la mit de toute urgence en cure de désintoxication. Cure qu'elle ne supporta pas. Elle n'y pouvait rien, son addiction était trop puissante. Elle n'avait que cela. Elle finit par s'enfuir. C'est lors de sa fuite qu'elle croisa mon père, qui accepta de l'héberger chez lui. Naquit ainsi un amour digne des plus grandes romances. Fedora et Celestino. Mignon tout plein.
Ma mère ne se drogua plus. Mon père l'avait convaincue d'arrêter, et par la magie de l'amour, elle accepta. Cela faisait une année qu'ils vivaient ensemble. Ils projetaient déjà leur avenir : une petite maison en Sardaigne, en compagnie de leur fille, baptisée sous le doux nom de Gianna. Une idylle.
Inutile de préciser que cette idylle tourna au drame.
Ma mère tomba enceinte de moi. Au début, tout se passait bien. Ils s'attendaient à une fille, comme convenu. Ils n'allèrent pas vérifier : tout leur conviendrait, de toute façon, et ils avaient confiance. Jusqu'à ce que mon père se fit assassiner, sous les yeux de ma mère, au bout de son huitième mois de grossesse. Elle en fut définitivement traumatisée. On ne retrouva jamais les coupables. Du moins, on savait que c'était des mafieux. Après un mois de deuil, Fedora accoucha d'un petit garçon.
Je suis né le 16 Avril 2192.
Ma mère n'accepta jamais le fait que je puisse être un garçon. Elle me donna donc le prénom que mes parents m'avaient choisi avant ma naissance. Gianna. Fedora tomba dans une dépression dont elle ne ressortit jamais. Durant mes deux premières années, je vivais encore à Rome, dans l'appartement de mon défunt père. Puis ma mère décida de changer d'air. De balancer toutes ses économies dans une petite maison dans un village au fin fond de la Sardaigne, comme convenu. Elle recommença à se droguer. Ce n'était pas convenu. Le reste de mon histoire ne l'était pas, par ailleurs.
Durant les premières années de mon existence, Fedora me fit croire que j'étais une fille des plus normales. Elle m'habilla en tant que telle. Elle laissa pousser mes cheveux, qu'elle prenait le soin de me tresser tous les matins, avant d'aller à l'école. C'étaient les seuls moments où je sentais ma mère heureuse. Son unique raison de vivre. Je ressemblais beaucoup à mon père, autant sur le point moral que physique. Nous étions pauvres. Je ne mangeais pas tous les jours à ma faim, et ma mère, bien qu'elle essaya de se remettre à travailler dans un café du coin, balançait son argent pour se payer ses doses quotidiennes. Mais les voisins voyaient en nous qu'une pauvre mère trop jeune pour être veuve et sa fille ravissante comme tout. Alors ils nous aidaient. Parfois, j'allais dormir chez eux. J'avais des amis, j'étais le premier de la classe. Mais ma mère ne voulait pas que je la quitte trop longtemps. Elle en devenait paranoïaque si j'étais trop longtemps dehors en train de jouer avec les gamins de mon âge.
Fedora avait peur, peur qu'on sache la vérité à mon propos. A son propos, aussi.
Elle me battait. A la moindre chose que je faisais de travers, elle me frappait. Au début, c'était juste des gifles qu'elle distribuait. Et puis après ce fut le reste du corps. Il y avait des jours où elle prenait son couteau, bien tranchant, et elle faisait saigner mon dos. Cela la défoulait. Après, elle allait mieux.
Mais un jour, la vérité fut dévoilée. Du moins, partiellement. C'était lors d'une visite médicale. Alors qu'il était écrit partout que j'étais une fille, l'infirmière se rendit compte que ce n'était pas le cas. Elle le signala à ma maîtresse, qui ne fit rien. Elle n'avait pas assez de courage pour affronter ma mère. Et parce qu'elle n'était pas très discrète, mes camarades de classe en furent informés. C'était la fin de ma vie sociale.
Ils ne prenaient pas la peine de me comprendre. Alors ils se moquaient de moi. Enfin, moquer, cela veut réellement dire qu'ils m'humiliaient. Mes anciens amis ? Mes pires ennemis. Tout le monde me tournait le dos. Et puis, il y avait de ces gens qui me protéger pour mieux me mener en bateau. Me faire croire qu'il y a de l'espoir, et l'écraser pour me précipiter dans un désespoir encore plus profond. Pourquoi ? La cruauté enfantine.Et puis, moi qui ai toujours cru que j'étais une fille comme les autres, découvrir que je suis du sexe opposé ne m'a pas rien fait. Je ne savais plus qui j'étais. Je n'osais plus me regarder dans un miroir. Chamboulé. Seuls les adultes essayaient de compatir à mon sort. Ils n'en voulaient pas à moi, mais à ma mère. Et cette dernière devint la risée de tout le village. Alors elle me battit encore plus. Alors elle devint de plus en plus sévère avec moi. Alors elle sombra de plus en plus dans la drogue.
J'étais mal. Mal dans ma peau, mal dans ma tête, aussi. Je ne savais plus quoi dire, plus quoi penser. J'avais juste 7 ans. Mais je continuai de travailler, à l'école. C'était mon moyen d'oublier. Évidemment, cela ne marchait pas. Mais je ne pouvais pas arrêter de bûcher, sinon ma mère allait me frapper. On n'essaya même pas de retirer ma garde à Fedora. Il n'y avait personne d'assez courageux pour aller la dénoncer. Surtout que le trafic de drogue faisait vivre le village. Et vu l'addiction de ma mère, on risquait vite de retrouver les dealers. C'est-à-dire un quart du monde ici. La situation resta inchangée.
C'est à ce moment là que mon « tic » fit son apparition. J'avais besoin d'évacuer mon stress constant. La première victime de mon désassemblage fut mon réveil dans ma chambre. Et puis après je pris l'habitude. Je désassemblais n'importe quoi. C'était une folie sans fin. Je me cachai de ma mère. Je savais pertinemment que mon « tic » relevait de la folie. Je ne voulais pas d'autres réprimandes, pas d'autres coups. J'étais au bord de l'implosion. Alors je commençai à me défendre. Je rendais les coups, petit à petit. Je devenais fort. Je matais ceux qui disaient du mal de moi. Bien que derrière les rideaux, je me laissais toujours frapper et battre par Fedora.
Je venais d'avoir huit ans. C'était un vendredi soir. Il était vers dix heures quand on sonna à la porte. Ma mère alla ouvrir. Ce fut très rapide. A peine elle venait d'entrouvrir qu'on entendit un coup de feu. Fedora s'effondra. Touchée en pleine tête. Le liquide rouge commençait à se déverser sur tout le tapis de l'entrée. J'étais habitué à la vue du sang. Je ne savais pas si j'étais heureux ou triste, ce soir-là. Des silhouettes, celles qui avaient tué ma mère, m'embarquèrent. Je ne me débattis pas. S'ils voulaient me kidnapper, qu'ils le fassent. Ma vie était déjà assez pourrie comme ça.
Naples. Je fus emmené à Naples. C'était un des gangs de Naples qui m'avait enlevé. Mon oncle en était le boss. Le frère de mon père, donc. C'était lui qui avait donné l'ordre de me kidnapper. Lui qui avait ordonné la mort de mon père et ensuite de ma mère. Il voulait un fils, il n'en a jamais eu, il était infécond. Alors il s'est intéressé à moi, parce que je faisais partie de sa famille. Et il m'a enlevé. Il m'éleva à sa façon.
Je me fis donc enrôler dans le gang. Je n'avais aucune raison de refuser ; le monde de la mafia avait toujours attiré mon attention, et je n'avais pas trop le choix. Je ne fus pas encore envoyé sur le terrain. Déjà parce que je suis jeune et surtout parce que je viens juste d'arriver, et donc je n'avais pas acquis la confiance de tout le monde. On me fit des cours comme à l'école, mais c'était bien plus dur que ceux de mon village. Mais je m'accrochais. Je me fis vite remarquer. Pas parce que j'étais le neveu de boss, mais par mon don. Mon talent inné dans tout ce qui était physique. J'étais agile, rapide, efficace en combat. Meilleur que la plupart de leurs mafieux. Ici, personne ne me discriminait ; j'étais enfin traité à ma juste valeur. Tout n'était pas rose non plus : leurs entraînements avaient la particularité d'être extrêmement éreintants et sévères. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait battre par mon supérieur parce que je lui manquais de respect. Je commençais à développer mon caractère, et cela semblait plaire à mon oncle.
Cesare. Mon oncle. Parlons-en. Bien plus haut, j'avais parlé du fait qu'il était le vice tandis que mon père était la vertu. Oui. Je n'ai jamais vu quelqu'un de si tyrannique que lui. Il était violent avec tout le monde. Égoïste et manipulateur à souhait. Il n'hésitait pas à vendre de la drogue à des enfants ou à les utiliser pour assassiner des gens. Il n'hésitait pas à tuer, à torturer ses subordonnés. Il n'avait aucune limite, il a tué son propre frère et l'entièreté de sa famille de sa propre main, parce qu'il ne voulait pas qu'on le dénonce (car oui, mon père était au courant de son trafic). Et il s'en est vanté devant moi. Il a kidnappé son neveu pour en faire une arme. Il n'a aucun sentiment, et encore moins de remords.
Je ne l'aimais pas : et je crois qu'il l'avait très bien compris. Pourtant, il avait une sorte de curiosité envers ma personne. Parfois, il se chargeait de mes entraînements lui-même. Il m'éduquait à la dure. Je le haïssais, et je le respectais d'une certaine manière. Je le respectais sans doute parce que c'est le plus gros salopard que j'ai vu de toute mon existence. Cesare était respecté comme le plus grand des généraux au sein du gang. Je n'ai jamais entendu quelqu'un dire du mal de lui. Apparemment, ce serait lui qui aurait redressé le gang alors que ce dernier courait à sa perte. Alors je me suis donné un objectif, un objectif complètement fou.
Le détrôner.
Le faire sentir misérable. Je voulais le voir s'agenouiller devant moi, implorer ma miséricorde pour épargner sa vie, vie que je n'épargnerai pas. Je le tuerai. De mes propres mains. Tant pis si elles sont tâchées de sang ; cela me fait du bien. Du bien de m'imaginer lui enfoncer un couteau dans ses tripes, de sentir le poids de la mort tomber sur lui. Le mal se combat avec le mal. Et je ne suis pas un saint.
Frustré. Voilà ce que j'étais. J'avais tout pour moi, dans ce gang pourtant. Tout le monde me respectait. Je pouvais très bien devenir le bras droit du boss ; pourtant je n'en voulais pas. Je voulais tout diriger, à moi tout seul. Ne plus laisser les mains sales de mon ordure d'oncle s'emparer de quoi que ce soit. Je voulais qu'il morde la poussière. J'affichais clairement mon désir de m'emparer de ce gang. Cesare s'en foutait, il avait tort. A treize ans, j'avais fini mon entraînement. C'est à cet âge-là que mes pouvoirs firent leur apparition.
Le climat. Je pouvais contrôler le climat, et tout ce qui en découle. Par exemple, je peux maîtriser la foudre, l'air, l'eau, l'atmosphère ou encore les corps gazeux. Je peux même contrôler les animaux, en m'amusant avec leur fameux sixième sens. Un pouvoir infini s'offrait à moi. Malheureusement pour moi, il était incontrôlable. Il avait bien trop tendance à agir inconsciemment. Inconsciemment, j'ai provoqué l'étouffement d'un professeur qui m'avait énervé, par exemple.
Mon pouvoir, mon caractère et mes capacités physiques. J'avais tout pour détrôner Cesare. Je devins très rapidement une des personnes les plus influentes du gang. En outre, je ralliais un nombre toujours plus grand de personnes à ma cause. Mon nombre de victoires pour des guerres de quartier était à lui seul une preuve de ma légitimité en tant que chef. Et mon oncle était trop imbu de sa personne pour s'en rendre compte.
Treize ans et sept mois. Tel était mon âge lorsque j'assassinai de mes propres mains mon oncle, de lui faire ce que j'avais toujours rêver de lui faire. Tel était mon âge quand je devins le nouveau boss du gang.
Mon oncle s'appelait Cesare. Douce ironie quand je me renommai en Augusto. Ce fut l'apogée. L'apogée de mon gang, cette fois-ci. Je parvins à soumettre tous les autres gangs de Naples. Pas seulement Naples, d'ailleurs. J'étendis mon pouvoir sur d'autres villes, Rome en première ligne. Tout le monde me respectait. Je cessai le trafic de drogue. Je n'aimais vraiment pas ça. Cela me faisait trop penser à l'addiction de ma mère. Cependant, je continuai les autres activités de mon gang, tout en les doucissant. Nous volions au riches pour donner aux plus malheureux. Ainsi, je me sentais bien. Je n'avais aucun remords.
J'étais heureux. Je me sentais bien, pour la première fois de ma vie. Savoir que je dirigeais des milliers de gens, que je pouvais leur faire faire n'importe quoi me confortait. Je pouvais leur ordonner n'importe quoi, ils le feraient. Ils me témoignaient le même respect que pour mon enfoiré de prédécesseur, voire plus. J'étais l'empereur de ce gang. Cela me faisait du bien.
Seulement, ce bonheur n'allait pas durer. Le plus gros gang d'Italie, notre ennemi, commença à s'en mêler. Nous n'étions pas une menace pour lui, auparavant. Maintenant, c'est le cas. Nous pouvions le détrôner. Devenir le premier gang d'Italie, soumettre tous les autres à notre joug.
Alors il tenta de nous espionner, de nous infiltrer. Il voulait trouver l'identité du chef du gang qui commençait à lui poser tant de problèmes. Seulement, il ne put jamais savoir mon rôle. J'ai toujours veillé à la préserver, seules les personnes les plus proches de moi savent qui je suis. Sinon, je me fais passer par un mafieux de base tandis qu'une « doublure » prend ma place.
Tiens, en parlant de ma doublure. Elle, elle n'échappa pas à son assassinat par l'ennemi. Ni les centaines de personnes qui sont mortes avec elle. C'était une attaque surprise, dans un de nos repaires. L'ennemi possédait des pions qui usent de la magie, tandis que moi, je n'arrivais pas à contrôler la mienne. Ce fut la panique. Ce n'était pas le gang le plus puissant d'Italie pour rien. Mes proches décidèrent de me couvrir pour que je puisse m'enfuir sans émettre de soupçons.
White Roses Academy, l'endroit idéal pour se faire une couverture et diriger le gang depuis là-bas. Je devrais me comporter comme un gamin normal. Mais je vais faire ce que je veux.