Avez-vous déjà vu Ganymède ?
Si non, vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne pouvez pas comprendre pleinement mon histoire. Parce que Ganymède en est la base, l’essence.
Ganymède, donc. Une petite planète, colonisée par les Humains il y a un bon siècle. Une planète comme les autres. Mais la plus belle des planètes à mes yeux.
J’y suis né il y a de cela vingt-six ans. Je vivais avec mes parents dans une jolie maison, dans une petite ville de campagne. J’adorais cet endroit. Je passais mon temps à m’y promener, explorant toujours plus, découvrant des lieux plus magnifiques les uns que les autres. Des lacs à l’eau si bleue. Des forêts d’arbres immenses où le soleil se reflétait dans les gouttes de pluie tombées sur les feuilles, l’illuminant. Les plus beaux des couchers de soleil.
Même enfant, je n’étais pas très sociable. Mais ça m’allait bien. Je me baladais seul. J’avais ce monde magnifique et tout allait bien.
Puis arriva mon petit frère, Aoi. C’est tellement petit, un nouveau-né. Je n’étais pas si grand non plus à l’époque, du haut de mes dix ans. Mais lui était si petit… Il avait l’air si fragile, ce bébé. Mon petit frère à moi. Celui que je devrais protéger en étant le meilleur des grands frères.
Bon, au début, ce n’était pas très drôle. A l’époque, il passait son temps à pleurer, dormir et manger, ce que je ne trouvais pas particulièrement intéressant. Mais il était adorable, malgré tout.
Les années passèrent. Il fit ses premiers pas, prononça ses premiers mots. Je jouais avec lui, il riait et ma vie, pourtant simple et sans grand intérêt, me satisfaisait.
Puis la guerre éclata.
La Grande Guerre de Ganymède. Ou la pire chose qui soit arrivée à ce monde.
Une guerre civile. Des réformes un peu trop radicales au goût du peuple qui chercha à s’opposer. Et se fit réprimer violemment par des soldats.
Pouvait-on véritablement appeler cela une guerre ? A mes yeux, cela ressemblait plus à un massacre systématique des opposants qu’à autre chose. Une hécatombe qui fit bien trop de victimes.
Mes parents étaient des agents de police. Ceux que le gouvernement payerait pour exterminer des gens après quelques semaines difficiles.
A part que mes parents n’étaient pas du genre à accepter de tuer des civils qui n’avaient rien fait, même contre leur salaire. Alors ils se sont rebellés avec les autres.
Puis ont été tués avec les autres.
J’avais quatorze ans et Aoi tout juste quatre quand on vint nous apporter cette nouvelle. Nos parents ne rentraient pas systématiquement à la maison tous les jours, à cette période, me laissant m’occuper de mon petit frère – et puis, de toute façon, il y avait les voisins à qui je pouvais demander de l’aide au moindre problème. Puis on vint nous annoncer que nos parents étaient morts.
A quatorze ans, cette nouvelle était un choc, et pas des moindres. A quatre ans, on ne pouvait même pas comprendre pleinement la gravité de la situation. Aoi ne pouvait pas comprendre qu’il ne reverrait plus jamais ses parents. Que nous étions désormais seuls.
Le massacre avançait, jusqu’à arriver dans notre campagne. Mes forêts flambaient et ma vie partait en fumée.
Alors je pris une décision. La décision la plus importante de ma vie.
Nous devions partir, Aoi et moi.
Je fis la chose la plus compliquée de ma vie, pour ça. C’est-à-dire voler un vaisseau spatial en trimballant un gamin de quatre ans. Mais j’y parvins, par je ne sais quel miracle, et j’arrivai à nous faire survivre jusqu’à la Terre, bien que l’atterrissage ne se fît pas particulièrement en douceur – j’avais quatorze ans et jamais piloté un engin de ce genre en-dehors d’un jeu vidéo ; je considérais le fait d’être encore en vie comme un point suffisamment positif.
Commença donc une vie misérable dans les rues.
Deux gamins qui n’avaient d’autres moyens pour survivre que de faire la manche toute la journée, voler aux étalages et aux passants. Rapidement, je me mis à charmer des filles pour leur extorquer de l’argent, mais malgré tout ça, nous ne nous en sortions pas vraiment. Nous n’échappions pas à la dure vie des rues. Je ne pouvais pas non plus abandonner Aoi très longtemps ; il était trop petit pour ça. Ce qui m’empêchait d’essayer de travailler.
Au bout de deux ans, je réalisai qu’Aoi ne tiendrait pas plus.
Il était malade, maigre à faire peur. Je ne m’en occupais pas assez bien, malgré toute ma bonne volonté.
Je décidai donc de le confier à un orphelinat. J’aurais peut-être dû commencer par là, mais je ne voulais pas rester dans un lieu comme celui-ci et je ne voulais pas non plus me séparer d’Aoi.
C’est ce que je fis, pourtant. Je le laissai à un orphelinat et partis, lui promettant que je reviendrai le chercher, un jour, puis allai à Academy of Dead Roses, un établissement accueillant des élèves « qui n’avaient nulle part où aller ». Un peu moi, quoi. J’allais reprendre mes études quelque part, m’en sortir, pouvoir m’occuper d’Aoi correctement et tout irait bien.
Bien sûr, tout ne se passa pas comme ça ; il fallait que cet établissement un peu trop accueillant soit un plan diabolique de gens souhaitant annihiler tous les terriens ou quelque chose comme ça. Waw, ce scénario. Mais nous nous en sortîmes quand même et je réussis à me faire quelques amis au passage.
Au final, je ne restai là-bas que quelques mois. Parce qu’après que quelques élèves aient tout dévoilé, l’école fut détruite. Super.
En attendant, les différents gouvernements terriens semblaient quelque peu affolés par la situation et décidèrent que quand même, quelque chose comme ça, c’était une bonne idée. Et puis, un projet sponsorisé par des États sentait probablement moins le coup fumeux qu’Academy of Dead Roses. Ils avaient failli être exterminés par des ados, ça leur faisait probablement un peu peur et ils préféraient dépenser un peu d’argent que de voir la chose se reproduire.
En attendant, de la main-d’œuvre pour tout reconstruire par-dessus, ils en avaient besoin. J’avais trouvé ma nouvelle activité pour l’instant. Nourri, logé et un payé un minimum. Que demander de plus ?
J’allai rechercher Aoi. Il me manquait, ce petit-là. J’allai donc récupérer mon Aoi et le chiot qu’il avait ramassé dans la rue un peu avant que je le laisse. Ç’avait été une bouche supplémentaire à nourrir mais un sourire sur le visage d’Aoi. Un sacrifice que j’acceptais. Parce que je voulais juste qu’il soit heureux.
Pourtant, j’avais manifestement raté quelque chose.
Aoi commençait à me faire la tête et je détestais ça. J’avais dû faire quelque chose de mal, mais il ne me disait pas quoi et je n’arrivais pas à savoir tout seul. Alors je ne pouvais rien faire pour réparer mes torts.
Au moins, je voyais qu’il s’entendait bien avec les amis que je m’étais faits. C’était toujours mieux que rien, n’est-ce pas ? Bon, ce n’était pas non plus la joie de faire du travail manuel toute la journée pour que mon frère me fasse la gueule en rentrant, préférant être avec mes amis.
Ça a duré un bon moment. Essentiellement jusqu’à la naissance de Ryouta, le gamin d’Itsuki et Tsukiko. Un petit bout de chou qu’on n’imaginerait pas composé à cinquante pour cent de son père qui ne respirait pas la sympathie – probablement la raison pour laquelle je m’entendais avec ledit père, d’ailleurs. Aoi adorait Ryouta et ça crevait les yeux. Et puis, rapidement, il se mit à mieux m’accepter. Pour apparemment aucune raison. Je ne comprenais toujours pas mais tant mieux.
Ma vie personnelle n’avançait pas des masses. Kaoru et Llywen partaient ensemble je ne sais pas où, Itsuki et Tsukiko fondaient une famille et moi, en attendant, je me plongeais dans le travail pour oublier le reste. Je fis ensuite quelques études pour pouvoir prendre le poste de professeur de sport de la nouvelle Académie. Passionnant, n’est-ce pas ?
© Eerie Ange's